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© CNRS - 2023

Numéro de notice

7784

Ils font parler les morts - Va Savoir #05

Titre Série

Va savoir

Il n'y a pas que les fantômes qui cachent de lourds secrets… Nos os aussi en regorgent, et ils ne les révèlent qu'à ceux qui savent les faire parler. Mais ici, pas de sorciers ni de nécromanciens : une équipe d'un genre particulier, judicieusement nommée BONES et basée à Marseille, qui croise les disciplines et les techniques pour extraire toutes les informations des ossements humains, vieux ou encore tout frais… Mais alors, comment fait-on « parler » un os ? Et qu'a-t-il à nous dire sur lui, sur nous-mêmes, sur nous tous ?
Direction Marseille pour une plongée fascinante dans le monde des morts.

Durée

00:10:53

Année de production

Définition

HD

Couleur

Couleur

Son

Sonore

Version(s)

Français

Support Original

MPEG4

Transcription


Maxime Labat :
Attends reste là toi ! Aujourd'hui, je vous emmène à Marseille à la rencontre d'une incroyable équipe de recherche, spécialiste des squelettes humains, la bien nommée équipe BONES, du tout aussi bien nommé laboratoire ADES, un laboratoire CNRS qui se trouve sur le site de l'université Aix-Marseille ; et je suis super content d'être là parce qu'il faut que je vous dise que je suis né à Mexico ; du coup j'ai grandi entouré de squelettes humains en papier mâché, en paille ou en sucre et j'ai toujours senti que ces crânes rieurs et colorés avaient une histoire à me raconter. Et en vrai même si personne n'y coupe, on est d'accord qu'ici en Occident, la mort et en particulier les restes humains, sont généralement invisibilisés ; sauf quand ils se retrouvent au centre de la scène, comme dans un musée, une cour d'assise ou un site archéologique par exemple. Ici, des chercheurs venus de différentes disciplines tentent de déchiffrer des histoires contenues dans ces restes humains, qui si elles sont parfois dures, restent toujours fascinantes.

J'ai été plongé directement dans le vif du sujet en rejoignant le professeur Pascal Adalian, au service de médecine légale de la faculté. Alors comment vous faites pour identifier une une personne quels sont les les différents os qui peuvent marquer l'identité ?

Pascal Adalian :
Quand on est confronté à une expertise comme celle-là, c'est de se demander si tous les ossements qu'on a devant nous sont bien humains. La deuxième étape c'est de se demander s'il y a plusieurs individus, après tout on a des os qui sont séparés les uns des autres donc pour ça on vérifie s'il y a pas des os en double. Donc une fois que cette première phase est faite je passe à l'étape 2 qui détermine un profil biologique.
Pour donner le sexe un individu on regardera le bassin. Malheureusement au moment du prélèvement l'os coxal de ce monsieur s'est cassé mais sur le terrain nous avions pu déterminer que c'était bien un homme.

François Marchal :
L'espèce humaine est une espèce très peu dimorphique c'est-à-dire qu'il y a très peu de différence entre les hommes et les femmes. Heureusement il y a une zone qui est très dimorphique dans l'espèce humaine c'est le bassin : chez les femmes il y a par exemple une différence très importante, ici au niveau de ce qu'on appelle la grande échancrure sciatique et on voit que chez les femmes cette échancrure est très large et très ouverte et très symétrique. Par comparaison, sur cet os masculin, cette même échancrure est plus refermée ici en forme de cross et plus étroite. Et puis il y a une autre zone qui est très différente aussi entre les hommes et les femmes cette partie-là la branche du pubis est chez les femmes très allongée très étirée alors que chez les hommes on a une branche supérieure du pubis qui est beaucoup plus courte et plus massive.

Pascal Adalian :
On a la chance d'avoir des tibias. On peut les mesurer et on a des tables statistiques qui nous permettent d'estimer la taille de l'individu donc on a un homme d'environ 1,65. Maintenant on va se dire, parmi tous les hommes de 40 ans et 1,65 qu'est-ce qu'il a de particulier pour le reconnaître ?
Ce squelette a des marqueurs osseux très particuliers qui vont nous permettre d'estimer une corpulence importante. C'est une pathologie que l'on retrouve sur ces vertèbres : on a sur le côté droit des vertèbres comme une coulée de bougie qui est venue les associer entre elles et cette pathologie-là on sait qu'elle est fréquemment associée avec un embonpoint et parfois avec un diabète de la personne.
Ici j'ai une côte, vous voyez cet épaississement osseux là ? ça c'est la trace laissée par une fracture de la côte qui s'est réparée. Si l'os a eu le temps de se réparer c'est que c'est arrivé plusieurs mois ou plusieurs années avant la mort de l'individu. Ici on est au niveau de l'articulation de la hanche, du côté gauche, toutes ces réactions osseuses là toutes ces surproductions irrégulières remaniées, ce sont des traces d'une arthrose très importante.

Maxime Labat :
C'est quelqu'un qui boite ?

Pascal Adalian :
C'est quelqu'un qui boitait probablement qui souffrait et qui se plaignait de sa hanche.

Maxime Labat :
De temps en temps vous pouvez constater aussi des des traumatismes qui ont pu être impliqués dans la mort de l'individu et pas dans sa vie ?

Pascal Adalian :
Bien sûr ! Une application récente a été de s'interroger sur une fracture de l'os à l'arrière du crâne. Le magistrat nous demandait si la personne était tombée toute seule ou s'il avait fallu qu'on le pousse.

Maxime Labat :
Donc les biomécaniciens font des modèles informatiques qui vous permettent de simuler tout ça et…

Pascal Adalian :
C'est tout à fait ça.

Maxime Labat :
De réussir à avoir des des résultats qui sont assez robustes pour ramener devant (…)


Pascal Adalian :
Totalement. Avec un os réel que l'on va mettre dans des conditions de pression, d'étirement, de torsion, qui sont contrôlés par des machines, on va produire un premier modèle. Puis on va pouvoir décliner ce que ça donne sur un homme très grand, très corpulent, sur un homme plus petit plus gracile. On va pouvoir faire des centaines de simulations à la suite informatiquement. Puis on va rendre un résultat exploitable au magistrat, c'est pas une équation mathématique qu'il nous demande c'est est-ce que il y a une volonté de casser ?


Maxime Labat :
On quitte le centre de Marseille pour plonger dans le passé avec Gaëlle Granier et Géraldine Carcel, qui travaillent elles sur des squelettes beaucoup plus anciens.
Alors vous vous êtes archéologues. Du coup vous vous intéressez à des squelettes mais qui sont beaucoup plus anciens. Celui-ci il date de quand et comment vous savez la la la période à laquelle il a vécu ?

Gaëlle Granier :
Alors celui-ci en particulier, enfin ces deux-là, ils datent d'au moins 1600 ans puisqu'ils ont été datés du 4e siècle de notre ère et on le sait parce que d'une part les données archéologiques nous ont permis de le situer dans les couches qui se sont superposées au fil du temps et d'autre part on a réalisé des datations sur le carbone 14 qui nous ont donné des dates très précises.

Géraldine Carcel :
Nous ce qui va nous intéresser en fait c'est de savoir qui c'est, d'un point de vue biologique donc savoir si c'est un homme, si c'est une femme, l'âge qu'il pouvait avoir au moment du décès et tout ce qui va en fait l'affecter dans sa vie.

Maxime Labat :
On est où ici là ?

Gaëlle Granier :
Ici on est dans la partie de l'ostéothèque régionale qui est accueillie dans notre laboratoire où sont conservés tous les ossements qui sont extraits des fouilles de la région.

Maxime Labat :
Il y en a à peu près combien ?

Gaëlle Granier :
Il y en a à peu près 10000.

Maxime Labat :
Ok !

Gaëlle Granier :
On a des squelettes qui vont du néolithique jusqu'au 19e siècle

Maxime Labat :
Ok donc c'est un peu comme une bibliothèque mais avec des ossements ; on peut venir emprunter un un squelette

Gaëlle Granier :
Non on peut pas les emprunter mais on peut venir les étudier

Maxime Labat :
Ok. Quel quel genre d'information peut avoir ?

Gaëlle Granier :
On peut faire déjà des datations donc avec le radiocarbone, on peut faire aussi des analyses génétiques, génomiques, sur sur l'adn ancien et on peut aussi avoir des informations avec les isotopes, les périodes de mobilité qu'ont connu les individus dans leur vie, leur origine géographique et aussi leur alimentation, leur type d'alimentation, à quel type de ressources ils avaient accès et s'il y a des différences entre les individus au sein d'une société qui pourrait nous permettre de comprendre l'organisation de cette société.

Maxime Labat :
Vous faites de l'observation directe mais des fois vous avez d'autres outils pour pouvoir analyser les les squelettes, c'est quoi ce que tu as dans la main là ?

Géraldine Carcel :
Alors ça c'est un scan et pour le coup c'est un scan lumière pulsée euh qui va directement en fait sur le crâne projeter de la lumière et prendre en même temps des photographies. Voilà et ça ça nous permet en fait de le sauvegarder en 3D directement donc il va s'afficher en même temps et en même temps d'avoir une sauvegarde à vocation patrimoniale ne pas détruire en fait l'objet et en même temps de pouvoir continuer à l'utiliser mais de manière virtuelle, de le diffuser auprès des collègues, de pouvoir en discuter directement, de pouvoir faire des mesures en fait de manière quasiment aussi précise, que si on le faisait sur l'os réel.

Maxime Labat :
Vous, vous travaillez dans le champ des sciences humaines et sociales en en anthropologie sociale, alors par quel biais vous abordez cette thématique du squelette et des ossements humains ?


Elisabeth Anstett :
La chose qu'il faut garder à l'esprit c'est le fait que cet ossement, cet objet bizarre qui est aussi le reste d'une personne, devient un objet scientifique, devient une preuve judiciaire, devient un objet patrimonial, en même temps et du coup ses usages peuvent donner effectivement lieu à des conflits, à des tensions, à des des oppositions dans l'appropriation, dans la façon de considérer cet objet. On peut prendre un un exemple qui est celui du génocide commis contre les Herero et les Nama par l'Allemagne en 1905 en Namibie, et donc ces ossements, ils sont conservés par des universités allemandes encore maintenant. L'Etat namibien en
2011 a fait une demande de restitution de ces objets en tant qu'État en considérant qu'il ne pouvait pas être des objets de science mais qu'ils devaient être considérés comme des biens patrimoniaux restitués à la Namibie en tant qu'État. Simultanément les communautés Nama et Herero ont, elles, fait une demande de restitution à l'Allemagne en considérant que ces objets étaient non pas des objets mais des restes d'ancêtres et des restes de parents et que ces objets devaient être restitués non pas à la Namibie en tant qu'État mais à ces communautés Nama, Herero qui étaient les seules légitimes à les recevoir pour pouvoir les inhumer. Donc on voit bien qu'un même os peut être considéré par un pays comme un objet de science, par un autre pays comme un objet patrimonial, par des communautés qui font partie de ce pays comme les restes d'un défunt et presque des reliques saintes. Donc on a une situation de conflit et de conflit qui durent extrêmement longtemps et qui sont susceptibles de durer encore longtemps.

Maxime Labat :
Sans y penser tous les jours, vous trimbalez avec vous votre squelette et c'est pas très réjouissant d'imaginer qu'un jour sans vous il continuera son trajet sur Terre en emportant avec lui une partie de votre histoire, avec votre patrimoine génétique, l'histoire de vos ancêtres et vos particularités mais aussi ce que vous avez mangé ou les maladies avec lesquelles vous avez vécu ; bref une sorte de biographie qui se sera écrite bien malgré vous. Après est-ce qu'il y aura quelqu'un pour la lire ? Va savoir…

Réalisateur(s)

Julien DESCHAMPS

Production

Délégation(s)

Thématiques scientifiques

CNRS Images,

Nous mettons en images les recherches scientifiques pour contribuer à une meilleure compréhension du monde, éveiller la curiosité et susciter l'émerveillement de tous.