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© CNRS - 2022
Numéro de notice
7572
Serpents sont de sortis (Les) - Va savoir #01
Titre Série
Va savoirDans ce tout premier épisode de #VaSavoir, Maxime part à la rencontre des serpents avec Xavier Bonnet et son équipe du Centre d'études biologiques de Chizé. Xavier Bonnet étudie les serpents depuis plus de 30 ans et est l'un des herpétologues français les plus reconnus.
L'occasion rêvée de se demander s'il est bien raisonnable d'en avoir peur, mais aussi d'essayer de comprendre les mécanismes étranges de l'évolution et la nécessité de laisser de la place à la vie dans cette chambre trop bien rangée qu'est notre paysage…
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Transcription
Maxime Labat :
La dernière fois que je suis allé chez le médecin, je me suis demandé ce que faisait ces serpents sur les logos de quasiment tous les toubibs de la planète, on les retrouve même sur les pharmacies. C'est quoi le lien entre les serpents et la médecine ? Bien sûr, vous dites « Bah oui, mais moi je le savais. C'est le serpent d'Esculape du dieu romain de la médecine », bah mais moi je ne le savais pas.
Le serpent d'Esculape, c'est très certainement la couleuvre d'Esculape, jusqu'ici. Extrêmement répandue à l'Antiquité. On acceptait volontiers cette couleuvre dans les palais, dans les maisons, jusque dans les berceaux des bébés par exemple. Regardez-moi ça, comme c'est beau. Je voulais comprendre ce qui est arrivé au serpent pendant les 20 dernières années et puis aussi pendant les 20 derniers millions d'années. Et je suis arrivé ici au Centre d'études biologiques de Chizé pour rencontrer Xavier Bonnet, l'un des plus grands spécialistes mondiaux des serpents.
Xavier Bonnet :
Tient, elle faisait semblant de mordre. C'est rare, mais bon, c'est juste de l'esbroufe.
Maxime Labat :
Ce site a été conçu à l'origine pour héberger une base militaire de l'OTAN. Depuis, on n'y trouve plus des militaires, mais des biologistes qui tentent de comprendre les liens qui unissent les différentes espèces au sein des écosystèmes En m'baladant, j'ai vu des trucs de fous. J'ai vu des gens qui étaient en train de découper des oiseaux marins pour voir les parasites qu'ils avaient dans leur intestin.
Mais il y en a aussi qui bossent sur les orques, sur les pollinisateurs. On est un peu dans un des hotspots de la compréhension de la biodiversité mondiale ici. Alors toi une question qui te passionne sur les serpents, c'est l'évolution. Elle est particulière, elle est spéciale celle des serpents ?
Xavier Bonnet :
Les serpents, ils existent depuis environ 150 millions d'années. D'où viennent les serpents ? On ne sait pas vraiment. On sait que ce sont des lézards et ils ont perdu leurs pattes au cours du temps, se sont allongés, très allongés. Puis là on voit vraiment la caractéristique des serpents ici, c'est la souplesse.
Maxime Labat :
Y a quoi d'autre comme caractéristiques ?
Xavier Bonnet :
La principale caractéristique, celle qui est la plus importante sur le plan évolutif, c'est le crâne. Il y a quelques dizaines d'os qui composent le crâne. Ils sont plus ou moins articulés les uns avec les autres. Ça donne une grande flexibilité et donc notamment la capacité d'engloutir de grosses proies.
Maxime Labat :
Du coup, ils ont une tête démentielle. C'est comme si nous, on pouvait manger des hamburgers qui étaient grands comme ça, quoi.
Xavier Bonnet :
Alors, en fait, c'est comme si moi je pouvais te manger. Sur le palais en haut, il y a plusieurs enjeux dedans. Et l'animal a tellement de mobilité qu'il est capable de bouger ses dents les unes par rapport aux autres et de faire avancer une proie simplement en faisant bouger ses dents. Et de ça porte un nom ça s'appelle la marche des dents.
Maxime Labat :
Alors là on est en train de marcher dans la forêt de Chizé pour essayer d'aller chercher des serpents. Il y a des plaques qui sont disséminées un petit peu partout dans le paysage.
Shane Lombardo :
On a installé à peu près plus de 1000 plaques. Quand on les soulève, les serpents se trouvent dessous parce qu'ils viennent se réchauffer ou chercher d'autres animaux qui se trouvent dessous et qui sont leurs proies. C'est un peu des zones de passage parce qu'on soit trouver un serpent dans la nature, comme ça, quand on marche, c'est super compliqué. On n'en voit quand même assez rarement. Et si on faisait ça à l'année qu'on n'avait pas de plaques, on pourrait peut être en attraper une vingtaine alors que là, on en a plus de 500 à l'année
Maxime Labat :
Alors attend y en a là, il y en a un juste là. Oh, c'est une couleuvre à collier. Uh oui t'es belle.
Shane Lombardo :
Alors ça, c'est une petite coulée d'Esculape, qu'on a attrapé dans la réserve biologique de Chizé.
Maxime Labat :
Alors le but du jeu, c'est de réussir à mesurer le serpent ? celui-là il est constrictor même s'il faut déjà le dérouler…
Shane Lombardo :
Déjà. Et en plus, elle a une sacrée force, ce qui fait qu'elle s'enroule très facilement. Alors bien entendu, vu qu'on travaille avec des animaux vivants, il faut toujours composer avec l'animal. Si l'animal n'a pas envie, c'est compliqué. Donc du coup, on va faire des mesures de la longueur du corps comme on peut le voir ici. Après, on va aussi prendre le poids de l'animal.
Maxime Labat :
Et une fois que tu l'a pesée, tu mesures quoi ?
Shane Lombardo :
On va faire plein de mesures de tête.
Maxime Labat :
Et ça, les mesures biométriques, c'est quelque chose que font tous les herpétologues du monde ?
Shane Lombardo :
Ouais. Tous les herpétologues du monde vont faire ces mesures et en fait ça va permettre de comparer un peu les populations. Donc nous à Chizé, c'est quand même un truc le suivi de 30 ans, c'est quelque chose assez unique au monde.
Maxime Labat :
Ouais, c'est vraiment avec ces bases de données que vous arrivez à obtenir des résultats scientifiques. Parce que sinon, vous êtes aveugle si vous n'avez pas ces données.
Shane Lombardo :
Et voilà. Et en soit, ce qui est ce qui est pratique, c'est que vu qu'on a énormément de groupes qui travaillent sur les serpents dans le monde entier, si on travaille tous de la même manière, c'est plus simple aussi pour se comprendre.
Xavier Bonnet :
La beauté de ses mouvements, sa fluidité a inspiré artistes, mythologies et tout ce qu'on veut c'est vraiment extrêmement fluide. Quand on le tient, qu'on se demande comment ils se déplacent d'ailleurs, c'est comme de l'eau qui coulerait à l'envers. ça ne force pas quand on l'a dans les doigts, ça ne force pas du tout ça.
Maxime Labat :
Il y a plein de serpents qui veulent qu'on ait peur d'eux parce que c'est souvent des proies, en fait.
Xavier Bonnet :
Ouais, un serpent venimeux comme un cobra quand il met son capuchon et quand il crache, c'est pour éviter une confrontation.
Maxime Labat :
Ce n'est pas une position d'attaque, ça.
Xavier Bonnet :
C'est pas du tout. C'est une position de bluff. Mais quand il chasse, il ne fait pas ça. Parce que s'il fait ça, la proie ne va pas rester. Quand il chasse, il change de registre. Il est dans la discrétion. Pas de bruit, pas vu.
Alors ça, c'est une espèce semi-aquatique, donc il maîtrise très bien la nage en surface, la plongée, et elle peut rester en apnée très longtemps sous l'eau, donc parfaitement à l'aise dans l'eau.
Mais ce qui est intéressant, c'est que des espèces terrestres d'eau qui n'ont jamais évolué pour nager, on les met dans l'eau et assez rapidement et nagent remarquablement bien.
Maxime Labat :
Alors sur le banc de nage, ici, ils essayent de comprendre comment cette couleuvre, par exemple, réussit à nager avec ces ondulations, donc tout le long du banc, là, ils mettent des caméras pour avoir le plus de données possibles pour comprendre la dépense énergétique du serpent, la vitesse. Quels sont les muscles qui sont impliqués et quels mouvements est réalisé par le serpent ?
Ce n'est pas facile parce que forcément, c'est un animal qui a son propre libre arbitre. Allez, c'est pour la science. Vas-y Pépette. Vas-y !
En France métropolitaine, ce que les serpents préfèrent, c'est les milieux ouverts comme ça. Mais leur mode de locomotion leur a permis de conquérir tous les milieux. Malgré leur adaptabilité, et bah, les serpents partout dans le monde, morflent. ça fait combien de temps que t'étudies les serpents ?
Xavier Bonnet :
30 ans.
Maxime Labat :
30 ans ? Et est ce qu'en 30 ans tu as vu l'effondrement de la biodiversité dont on parle autant ? L'effondrement des populations se serpent, tu l'as constaté ?
Xavier Bonnet :
C'est un drame. En 30 ans à peine, je l'ai vu. Et je le vois donc dans un espace de temps aussi court, on voit le sinistre se produire sous nos yeux parce que l'homme impose un rythme et une violence de changement qui est vraiment très, très forte.
Maxime Labat :
Alors si, si on en fait une petite liste à la Prévert, il y a le réchauffement climatique, il y a les déplacements d'espèces.
Xavier Bonnet :
Alors, en numéro un. De très loin, c'est la destruction des habitats. Les serpents comme leurs proies, comme tout un tas d'animaux, une grande partie de la biodiversité, ça prospère dans les zones broussailleuses et bocagères.
Maxime Labat :
Et pourquoi ?
Xavier Bonnet :
Il y a des habitats, des cachettes, c'est structuré, c'est complexe et donc ça entraîne automatiquement une grande biodiversité.
Maxime Labat :
Et un champ, c'est pas complexe ?
Xavier Bonnet :
Alors un champ type beau champ de Tournesols avec des coquelicots devant, ça a à peu près autant d'intérêt qu'un parking de supermarché, quoi.
Maxime Labat :
C'est un désert.
Xavier Bonnet :
Bah c'est un désert.
Maxime Labat :
Donc quand on est en avion et qu'on voit l'espèce de mosaïque française du paysage, c'est des déserts, des déserts, des déserts. Il y a des corridors quand même pour eux, pour circuler un peu ?
Xavier Bonnet :
Non, c'est un désastre. C'est la cause principale de perte de biodiversité au niveau mondial. Les gens y sont scandalisés par la déforestation pour l'huile de palme ou l'Amazonie. Mais chez nous, on fait pareil, les champs à perte de vue où il y a que des céréales, et on nous explique que les haies empêchent la culture, c'est faux techniquement parlant, c'est faux. C'est une folie, c'est une folie de destruction, de mise à plat de la nature.
Maxime Labat :
Toi, si tu dis qu'il faut protéger la biodiversité, c'est pas tellement parce que c'est utile. Mais l'argument principal, c'est l'intérêt d'être dans ce monde, l'intére^t d'être vivant avec d'autres vivants, la beauté du monde.
Xavier Bonnet :
Les gamins quand ils viennent dans la forêt avec nous, j'ai jamais ce discours et d'ailleurs les étudiants sont pas autorisés à l'avoir : faut protéger les serpents parce qu'ils mangent les rongeurs et ça sauve les cultures. C'est quoi ce truc ? Où on va avec ça ? Mais les gamins, c'est là qu'il y a de l'espoir : ils ont pas besoin qu'on leur dise que ça sert, que ça soit joli, que tout soit merveilleux, ça leur suffit. C'est quelque chose qui a été oublié.
Maxime Labat :
Ça devrait nous suffire à nous aussi.
Xavier Bonnet :
Absolument. Effectivement, y a pas besoin qu'ils servent à quelque chose. Parce que les tigres, ils servent à rien, on peut les éliminer tous, on vivra pareil. Y a pas besoin de baleine dans les océans, ça marchera autrement. Mais est ce que le monde sera aussi joli sans tout ça ?
Maxime Labat :
Et c'est une partie de ta recherche de faire des recommandations aux pouvoirs publics de leur dire quels sont les points qui pourraient être améliorés en terme de politique publique ?
Xavier Bonnet :
Bien-sûr ! Typiquement, nous, ce qu'on essaie de faire, c'est de combattre cette façon de nettoyer, d'aplatir la nature.
Maxime Labat :
Il faut aménager du bordel ?
Xavier Bonnet :
Absolument. Si vous avez des bosses et des creux, vous créez de la diversité et il y a des options pour que la vie se cramponne.
Maxime Labat :
Y a des reflets iridescents sur les sur les écailles de près, c'est vraiment magnifique.
Bon bah voilà, je reste un peu flippé à l'idée que mes enfants puissent tomber un jour nez à nez avec une vipère ou un serpent à sonnette. Mais je dois dire que je suis encore plus flippé à l'idée qu'ils puissent grandir dans un monde dans lequel il n'y en aurait pas. Après avoir passé un siècle à vouloir tout gérer, tout contrôler, il serait peut-être temps de laisser durablement de la place au bordel parce que c'est dans le chaos que la vie peut construire patiemment son étrange et fascinante diversité. Je crois qu'il est temps de se reconnecter vraiment au vivant et à tous les êtres vivants. Pas que les pandas roux… (…)