© CNRS - 2024
Numéro de notice
8014
Rencontre avec Michel Talagrand, lauréat du prix Abel 2024
L'Académie norvégienne des sciences et des lettres a décidé d'attribuer le prix Abel 2024 à Michel Talagrand, qui a effectué sa carrière de chercheur au CNRS. L'équivalent du prix Nobel des mathématiques lui est décerné «pour ses contributions révolutionnaires à la théorie des probabilités et à l'analyse fonctionnelle, avec des applications remarquables en physique mathématique et en statistique».
Michel Talagrand est ainsi distingué pour ses travaux en théorie des probabilités et processus stochastiques. Depuis ses origines, la théorie des probabilités a été motivée par des problèmes provenant des jeux de hasard ou de l'évaluation des risques. Le fil conducteur des découvertes révolutionnaires de Michel Talagrand réside dans l'utilisation et la compréhension des processus aléatoires qui nous entourent. La compréhension approfondie des phénomènes aléatoires est devenue essentielle dans le monde d'aujourd'hui. Les algorithmes aléatoires sont par exemple à la base de nos prévisions météorologiques et de nos grands modèles linguistiques.
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Transcription
Michel Talagrand :
Il y a de nombreuses gloires des mathématiques qui ont reçu le prix Abel, c'est quelque chose d'inimaginable pour moi d'être dans cette liste.
Question : Quelle a été votre première réaction à l'annonce de votre prix ?
Michel Talagrand :
J'ai eu un vide total dans mon cerveau pendant plusieurs secondes. Et je crois que le mot "surpris" n'est pas du tout adéquat. C'est à peu près comme si on m'avait annoncé qu'un vaisseau extraterrestre venait de se poser devant l'hôtel de ville. C'est à ce niveau-là. Mes fonctions mentales se sont absolument arrêtées. Mon fils m'a parlé du... comment cela s'appelle... "le complexe de l'imposteur". Dont visiblement je suis un peu victime. C'est-à-dire d'éprouver qu'il s'agit d'un cercle auquel je n'appartiens pas. À cette minute même, c'est complètement inimaginable. Je n'ai pas encore intégré du tout ce que ça représente.
Sur l'ensemble de votre carrière quelle est votre plus grande fierté ?
Michel Talagrand :
C'était vers 1983 et alors, J'ai fait une, une grande avancée au début, qui est probablement une des choses qui sera dans la citation du prix ABEL. Et après avoir fait cette avancée, j'ai posé des conjectures à l'esbroufe, c'est à dire qu'il n'y avait pas le moindre, le moindre indice de support, ni la moindre méthode pour les aborder. C'était simplement si je rêve, comment peuvent-être les choses le mieux possible. Et il se trouve que 30 ans plus tard, toutes ces conjectures ont été résolues. Donc ce domaine en un sens, je n'ai pas commencé mais où j'ai fait peut-être une des premières étapes importantes. Il se trouve qu'il a été entièrement parcouru. Et ça, c'est quand même une grande satisfaction. Ce n'était pas pensable qu'on puisse résoudre ces choses et elles ont été résolues quand même. Et bien sûr, avec la contribution de nombreuses autres personnes. Je ne suis pas tout seul à l'avoir fait.
Quelles sont les personnes qui ont marqué votre carrière ?
Michel Talagrand :
Les gens auxquels je veux exprimer ma reconnaissance, c'est plutôt des gens qui avaient une vision beaucoup plus large des mathématiques que moi et qui m'ont orienté dans les bonnes directions. Il y en a deux qui ont eu une influence considérable sur moi. Il y a Gilles Pisier, qui m'a dirigé vers ce, justement ce dont je viens de parler, l'étude des processus stochastiques qui a été le grand programme de ma vie. Et puis je pense aussi à Vitali Milman. Alors Vitali Milman est un très grand mathématicien russo-israélien et qui avait une vision d'un phénomène qu'il appelle la concentration de la mesure. Et cette vision-là au début, je me suis moqué de lui, mais j'ai fini par comprendre qu'il avait absolument raison. C'est cette vision-là qui m'a amené un autre pan de mon travail sur les inégalités de concentration. Autre pan qui sera sûrement cité également. Donc c'est à ces deux personnes là que je pense en priorité, parce que sans eux, je n'aurais pas fait la même chose. C'est bien évident.
Qu'allez-vous faire avec l'argent du prix ?
Michel Talagrand :
Il y a cinq ans, j'ai reçu le prix Shaw avec un chèque de 1 200 000 $ qui permet quand même de faire quelques petites choses et j'ai utilisé l'intégralité de cet argent.
J'ai créé une fondation avec qui distribuera des prix en mathématiques dans mes domaines favoris. Et l'argent du prix Abel va aller rejoindre ça et permettra évidemment d'augmenter le montant des prix qui seront donnés. Les premiers prix seront distribués dans moins de dix ans. Vous aurez une très belle histoire à raconter quand ça se produira. Je crois que c'est un petit peu unique dans l'histoire des mathématiques ce qui va se passer là. J'en suis encore beaucoup plus fier que de n'importe quoi que j'ai pu démontrer en mathématiques. D'autant plus que, je dois le dire, mes quatre grands parents sont tous nés dans une pauvreté extrême. Et finalement pouvoir donner presque 2 millions de dollars à la science. J'en suis extrêmement fier.