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© CNRS - 2023
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7686
Des alpages... volants ?! ZPP#7
Episode 7 : "Déplacer des montagnes", ce n'est pas toujours une métaphore... Parfois, ce sont LITTÉRALEMENT des hélicoptères qui transportent des morceaux de montagne à travers les Alpes. Mais promis : c'est pour leur bien !
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Transcription
A votre avis, qu'est ce qui est vert et marron et qui plane au-dessus des Alpes ? Non, non, on ne parle pas de la fille cachée de Hulk et de la vache Milka qui ferait un petit tour en tyrolienne. On parle de parcelles de terrain gigantesques que des chercheurs déplacent en hélico à travers les montagnes pour étudier les effets du réchauffement climatique.
Vous êtes intrigué, je parie. Si vous ne l'êtes pas, c'est que votre omelette aux champignons ne contenait pas que des cèpes. Ah bah parce que, objectivement, des alpages qui voyagent dans les airs, c'est un petit peu surprenant. Et très instructif aussi. Vous allez voir.
Bienvenue dans les Alpes, juste à côté du jardin du Lautaret. Ce lieu a été créé en 1899 pour devenir une réserve de biodiversité botanique. Aujourd'hui, il abrite plus de 2000 espèces de plantes d'altitude. Et c'est absolument sublime. Bon, surtout quand les plantes ne sont pas en hibernation, Mais bref, c'est sublime. Et puis nous, on était surtout là pour la science.
Dans les installations scientifiques de la station, les chercheurs du monde entier se pressent pour profiter de la présence de près d'un quart de la flore française et de la diversité des types de reliefs et zones climatiques.
Ici, les scientifiques étudient l'adaptation des organismes à la haute altitude, mais aussi le fonctionnement des écosystèmes alpins ou encore le manteau neigeux grâce à des dispositifs expérimentaux de pointe, des serres, des stations de mesure et des équipes qui connaissent les montagnes comme les poches de leur pantalon de terrain. Et c'est ici, en 2016, qu'est donc né le projet Alpages volant, qui porte bien son nom puisqu'il s'agit de déplacer des prairies par voie aérienne pour les emmener vers des zones plus chaudes.
Ici, les chercheurs simulent un réchauffement climatique de trois degrés sur les prairies de montagne pour mesurer l'impact de la hausse de température sur la flore, la faune et la composition des sols. Et pour ça, ils ont donc grimpé d'abord en 2016, puis en 2021, à 2500 mètres d'altitude, pour y découper des parcelles de terre pesant 120 kilos chacune.
Ils les ont ensuite attachés à des hélicoptères avant de les déplacer 500 mètres plus bas, là où il fait donc trois degrés de plus. Un taf assez badass. Jusqu'ici, ce sont dix parcelles de prairies alpines de quatre mètres carrés qui ont été déplacées. Mais on surveille également des prairies de contrôle qui restent bien au frais. Le but est bien évidemment d'étudier les différences entre celles qui sont restées en haut et celles qui ont fait un petit tour en hélico.
Car oui, le réchauffement climatique, ce n'est pas juste une histoire de températures. C'est aussi et surtout une transformation en profondeur de tous les écosystèmes, ce qui suppose une adaptation éclaire de tous ceux qui ne veulent pas mourir. Spoiler : c'est pas gagné pour tout le monde !
Depuis la migration des parcelles, des prélèvements sont effectués plusieurs fois par an, par les chercheurs qui étudient de près les plantes, mais aussi les petites bêtes qui peuplent les alpages. Concrètement, comment procède-t-on ? Non, parce que vous imaginez bien qu'on ne va pas compter les lombrics ou les micro champignons à l'oeil nu, évidemment. Pour savoir parmi les espèces présentes, qui s'épanouient malgré le réchauffement et qui morflent « sa petite maman en short à la montagne », on traque la présence de leur ADN dans les sols. Comme vous le savez, chaque espèce animale ou végétale présente une signature génétique unique, un genre de code barre d'identification.
Ce travail s'apparente un petit peu à celui de la police scientifique. Il s'appuie sur une technique de pointe baptisée metabarcoding molecular ou DNA metabarcoding pour ceux qui veulent se la péter un petit peu. Pour trouver le matériel génétique, on procède à des carottages minutieux à l'intérieur des parcelles en stérilisant au préalable les instruments pour ne pas introduire d'ADN extérieur et risquer de publier un article montrant que les populations de Jean-Marc et Sylvie ont cru exponentiellement en quelques années. Et avec ces échantillons, on passe au labo.
D'abord, on mélange les sols prélevés à une solution tampon à base de phosphate qu'on agite vivement pendant quinze minutes pour séparer l'ADN des particules du sol et le récupérer. Mais à ce stade, c'est un peu comme si on avait prélevé de la boue à Verdun dans l'espoir d'identifier un soldat. Tout est mélangé et on a des ADN de toutes les espèces passées par là. Il faut donc affiner un peu. On passe le tout à la centrifugeuse à 12 000 tours minute avant de mettre un réactif sur lequel l'ADN vient se coller. Puis, trois petits lavages plus tard, l'ADN est prêt à être analysé. Enfin, presque. Car avant de lire l'ADN, il faut l'amplifier grâce à la PCR. Oui oui, la même technique utilisée pour savoir si votre nez est rempli de Covid.
On peut alors distinguer grâce au séquençage, tous les ADN qui ont été récoltés et identifier toutes les espèces présentes dans le milieu. Grâce à cela, on peut donc voir année après année et parcelle par parcelle, quelles sont les espèces de plantes, d'animaux microscopiques, de champignons ou de bactéries dont la présence s'accroît sous l'effet du réchauffement et au contraire, quelles sont celles qui en pâtissent le plus.
Sachant que chaque espèce joue un rôle précis au sein de l'écosystème où elle évolue. Donc, ces changements à l'échelle microscopique ont bien sûr des conséquences importantes sur la composition des sols et, à terme, sur la biodiversité des reliefs alpins. Et d'ailleurs, on constate d'ores et déjà, six ans après le début de l'expérience qui pourrait durer jusqu'à quinze ans, que certaines espèces perdent la compétition face à d'autres qui s'adaptent mieux au réchauffement. Puisqu'on ne retrouve pas les mêmes espèces au sein des parcelles situées en haut et en bas des flancs de montagne.
Plus globalement, lorsque l'on réchauffe les plantes, on constate que leur cycle de vie change. Leur floraison, leur croissance sont modifiées par exemple. Rares sont les espèces qui s'acclimatent à leurs nouvelles conditions de vie plus chaudes. Et à ce jeu-là, les grandes gagnantes sont les graminées, pour le plus grand bonheur des allergiques.
Les plantes à fleurs, hors graminées, par contre, ne s'acclimatent pas, ce qui engendre une baisse du nombre et de la diversité des espèces pollinisatrices. A terme, ça veut dire plus de rhinite allergique, mais moins de miel pour les soigner.
On observe aussi que la microfaune du sol évolue, en particulier les bactéries qui se multiplient. Ce sont des actrices majeures de la réponse des écosystèmes au réchauffement.
Alors, ce n'est pas juste par voyeurisme qu'on s'y intéresse. Là aussi, des espèces disparaissent et sont remplacées, avec des conséquences sur le fonctionnement des écosystèmes comme la décomposition de la litière, la provision de nutriments et bien sûr la pollinisation. Et ces effets sont bien entendu cumulatifs.
Si, par exemple, à l'avenir, comme on s'y attend, la neige devait se raréfier, l'hiver, les plantes pérennes souffriraient paradoxalement davantage du froid parce que la neige forme un manteau isolant qui les protège des températures les plus extrêmes, surtout au début du printemps et à la fin de l'automne.
Bon, vous l'aurez compris, une fois de plus, la situation n'est pas franchement idéale et les perspectives non plus. Mais c'est grâce à ce genre d'expériences un peu folles et super cool qu'on peut mieux comprendre les menaces qui pèsent sur ces paysages millénaires et tenter au moins de les minimiser. On peut donc vraiment dire merci à nos génies des alpages qui veillent sur nos montagnes là-haut, entre les sommets enneigés.